Le fonctionnaire, ou l’agent contractuel, révoqué, ou licencié, de manière illégale peut prétendre obtenir la réparation de tous les préjudices nés de cette éviction.
Dans son fameux arrêt Commune d’Ajaccio (publié au Recueil Lebon), le Conseil d’Etat avait été clair sur le principe même du droit à réparation :
« Considérant qu'en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre ; » (CE, 6 décembre 2013, 365155, Publié au Rec. Lebon) ;
de même que sur la notion de préjudice réparable :
« que sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité ; que, pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions ; qu'enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction ; » .
Le fonctionnaire révoqué (ou le contractuel licencié) qui a fait la démonstration de l’illégalité de la décision d’éviction devant un tribunal adminsitratif peut raisonnablement espérer obtenir des dommages et intérêts en réparation de :
- la perte de rémunération
(l’indemnité prenant en compte les rémunérations perçues entre l’éviction et son annulation par le juge) : traitements et primes que l’agent avait une chance sérieuse de percevoir ;
- les frais liés à un déménagement imposé par la mesure d’éviction
(pour le réemploi de l’agent notamment) ;
- les troubles dans les conditions de l’existence
(précarité) ;
- le préjudice moral
;
- tout autre préjudice dont il peut -précisément- démontrer le lien direct avec la décision d’éviction.
Dans un arrêt d’espèce du 5 février 2019 concernant l’indemnisation d’un agent illégalement évincé, la Cour administrative d’appel de NANCY vient apporter une précision intéressante pour tout le contentieux indemnitaire (CAA NANCY, 5 février 2019, 17NC00933).
L’affaire portée devant elle concernait un agent de France télécom révoqué illégalement. L’indemnisation obtenue du tribunal administratif étant, selon ce dernier, en deçà du préjudice réellement subi, il saisit la Cour administrative d’appel. Dans le cadre de cette procédure d’appel, l’agent demandait à la Cour de lui accorder a minima la somme (supérieure à celle accordée par le Tribunal) que la parité adverse (Orange) avait proposé en première instance.
La Cour rappelle que le juge administratif est parfaitement libre dans l’évaluation des préjudices qu’il consent à réparer.
Ce principe semble évident pour qui connait la justice administrative. Toutefois, il n’est pas si fréquent en contentieux administratif que la partie défenderesse propose une évaluation des préjudices (elle se contente le plus souvent de nier sa responsabilité), et encore moins que cette évaluation soit raisonnable. Or, en pareille hypothèse, le principe de la liberté du juge dans l’évaluation des préjudices semble un peu moins entendable…
Au cas d’espèce, et sans surprise, la Cour administratif d’appel a déduit de ce dogme qu’elle n’était pas tenue par l’évaluation faite – pourtant a minima- par Orange. Après un réexamen de tous les préjudices en cause dans l’affaire, la Cour a finalement alloué une légère augmentation des dommages et intérêts retenus par le Tribunal, considérant que l’appelant parvenait à démontrer qu’il avait subi une précarité du fait de la décision de révocation illégale.
Outre le fait que la faiblesse de l’évaluation du préjudice de précarité est (ici encore) accablante, il résulte de son arrêt que le juge administratif n’a pas consenti accorder à l’agent illégalement révoqué ce qu’Orange était pourtant prêt à offrir.
Si la question du denier publique permet parfois d’expliquer la réticence du juge administratif à condamner l’administration ou à évaluer les préjudices au plus prêt de la réalité, lorsque la liberté donné au juge dans son office revient à déposséder totalement les parties de leur positionnement dans une affaire, il est permis de se questionner.